In memoriam Fatma Charfi-Mseddi 1955-2018
Ali Louati
Texte écrit et récité à l’occasion de la cérémonie du 40e jour du décès de feue Fatma Charfi-Mseddi, tenue le 26 juin 2018 à la Cité de la Culture, Tunis
Monsieur le Ministre de la Culture, Son Excellence Madame l’ambassadeur de la Confédération Suisse, Chers membres de la famille de feue Fatma Charfi-Mseddi, Mesdames et Messieurs,
Nous voilà réunis, aujourd’hui, en témoignage de fidélité à la mémoire de notre chère et regrettée Fatma Charfi-Mseddi, artiste plasticienne tunisienne, résidente à Bern en Suisse, qui, par sa personnalité et son œuvre, a grandement enrichi le mouvement de l’art contemporain, non seulement en Tunisie, mais aussi à l’étranger. En effet, par l’originalité de ses conceptions et la qualité de ses travaux hautement appréciés dans plusieurs pays, elle compte parmi les meilleurs représentants de la création contemporaine.
A cette occasion, je voudrais évoquer brièvement quelques souvenirs qui me lient à la chère disparue dans le cadre de mes activités dans le domaine des arts plastiques, lesquels souvenirs ont scellé entre nous une amitié entretenue par nos rencontres lors de ses visites familiales en Tunisie, ou à l’occasion de manifestations artistiques internationales.
J’évoquerai, aussi, quelques aspects de son parcours personnel en rapport avec le mouvement artistique tunisien et dans le contexte des expériences contemporaines auxquelles elle a pris part à l’étranger, en soulignant la spécificité de sa démarche et le contenu esthétique et intellectuel de son œuvre.
Fatma Charfi-Mseddi est née à Sfax en Tunisie en 1955. Après des études à l’Ecole des beaux-arts de Tunis, elle suit en 1977 une formation dans le domaine de la production des dessins animés en Pologne. En 1980, elle soutient une thèse de doctorat à l’Institut d’Esthétique et des Sciences de l’Art (Université Paris-Sorbonne). En 1990, elle suit un stage à l’Ecole supérieure des Arts visuels à Genève. Depuis 1986, elle vivait et travaillait à Bern en Suisse.
En Tunisie, l’artiste fait partie d’une génération venue à l’art avec le début des années quatre-vingt-dix, dont certains éléments s’orientèrent vers le renouvellement de la création plastique en rapport avec les mutations que vivait, alors, l’art dans le monde, lequel s’élargissait désormais à des vues esthétiques et intellectuelles inédites dépassant les thèmes traditionnels de la peinture, la sculpture et des autres modes d’expression. La création commençait à quitter le mutisme de l’œuvre finie, stable et se suffisant à elle-même, pour une existence ouverte, dynamique, aspirant à dépasser les limites matérielles du travail, ainsi que les visions trop individuelles qui le sous-tendaient. Pour certains artistes, l’heure était aux grands questionnements d’ordre humain et social ; leur approche intègre, dans un tout, les outils de la réalisation matérielle et les prises de positions intellectuelles, esthétiques, au travers d’une démarche interactive en confrontation directe avec les problèmes et les évènements de l’époque.
Elle fut de ceux qui ont emboîté le pas aux artistes tunisiens novateurs comme Ridha Ben Abdallah et Abderrazak Sahli, qui en privilégiant la recherche et l’expérimentation, s’orientèrent vers des conceptions nouvelles telles que les installations, les performances, le body art et autres expressions contemporaines.
Parmi ces artistes des années quatre-vingt-dix, citons Nadia Jelassi, les artistes de la Galerie Chiyem, Khaled Ben Slimane et d’autres. Fatma Charfi-Mseddi avait, de temps à autre, participé à ce courant novateur autant que le lui permettait sa situation d’artiste résidant hors de Tunisie.
Ma première rencontre avec elle remonte à l’année 1998 à l’occasion de la Biennale d’art africain de Dakar à laquelle je participais en tant que membre du jury. Parmi les participants tunisiens à cette édition figuraient en outre Khaled Ben Slimane et Ahmed Hajeri. Fatma Charfi-Mseddi devait y revenir plus d’une fois, notamment à l’édition de 2000 où elle a été lauréate du Grand Prix Léopold Sedar Senghor. En 1999, je lui proposai de réexposer son installation bien connue, intitulée « Golfe », à la Maison des Arts dont j’étais, alors, le directeur. L’exposition eut lieu entre avril et mai de la même année et présentait une expérience parmi les plus significatives de toute sa carrière en révélant l’existence de « Abrouc » ce personnage né par inadvertance entre les doigts de l’artiste alors qu’elle triturait, roulait nerveusement du papier de soie noir en suivant anxieusement à la télévision les évènements de la première Guerre du Golfe avec son train de destructions et de pertes humaines. Sa prise de position humaniste a pris concrètement l’aspect d’une surface couverte par de la poudre de marbre ayant l’aspect de dunes dans un paysage désertique parsemé d’une multitude d’« Abérics » qui font penser à des cadavres jonchant le sable.Néanmoins, « Abrouc » aura, ultérieurement, une destinée moins dramatique dans des travaux où l’artiste exprimera son engagement en faveur de diverses causes et questions d’intérêt intellectuel et humain.
En avril 2000, nous nous somme rencontrés de nouveau en Suisse, en marge d’une réunion sur les arts plastiques dans les pays de Sud, organisée par l’Agence de la Francophonie en partenariat avec le Kunsthal de Bern. Ce fut, pour nous l’occasion de débattre diverses questions touchant aux tendances actuelles de l’art et je pus me rendre compte de la foi profonde qu’elle avait en son projet artistique et de la conviction avec laquelle elle défendait ses choix, son identité et son ferme engagement avec l’humain. De plus, elle avait un tempérament rieur mêlant le sérieux et la plaisanterie malgré les inévitables problèmes et déconvenues de la vie. Notre belle amitié née dans l’estime et le respect réciproque, se raffermissaient au gré de ses visites en Tunisie et se nourrissait de mon admiration pour sa brillante carrière d’artiste, hélas prématurément interrompue.
Ce bref hommage dédié à sa mémoire ne suffit pas à parler de tout ce qu’elle a réalisé de travaux, performances, évènements tout au long d’un parcours artistique qui l’a menée un peu partout dans le monde et au cours duquel elle a expérimenté divers matériaux et media tels que la photographie, la vidéo et bien d’autres modes d’expression encore.
Le temps lui a malheureusement manqué pour accomplir tout ce dont elle a rêvé et la flamme s’est éteinte au summum de son ardeur. Mais que faire contre les décrets du destin ? Fatma Charfi-Mseddi nous a quittés laissant ses amis et ses proches à leur tristesse ; mais son souvenir demeurera comme un parfum de l’âme tant que durera en nous une conscience authentique du beau.
Que Dieu dans sa vaste mansuétude, ait son âme et lui accorde un éternel repos.